Doigts et pattes trouvent leur origine dans l'ADN poubelle

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Comment expliquer la diversité des formes des pattes dans le règne animal, ou la fréquence des anomalies héréditaires touchant les doigts? Des chercheurs de l’EPFL et de l’Université de Genève ont découvert un mécanisme génétique où – surprise – les gènes jouent le second rôle.


Des malformations héréditaires des doigts, mais des gènes parfaitement normaux: telle est l’énigme que pose notamment le syndrome de Kantaputra, à laquelle les scientifiques font face depuis quelques années. Comment expliquer que de telles anomalies se transmettent de génération en génération – doigts soudés, surnuméraires ou anormalement courts – sans que les gènes ne présentent la moindre mutation?

A l’EPFL, une équipe de chercheurs, du Laboratoire du Professeur Denis Duboule, a résolu le mystère. En cause, une longue séquence d’ADN dont on pensait, à tort, qu’elle ne jouait aucun rôle – de l’ADN poubelle, en somme. En réalité, ce long fil comporte sept parties qui, en se combinant l’une à l’autre, modulent l’activité des gènes responsables de la formation des doigts. Publiée dans Cell, cette découverte pourrait avoir des répercussions considérables dans le domaine de la génétique.

Des turbos sur l’ADN poubelle
L’ADN n’est constitué de gènes que pour environ 2%. Mais il présente d’autres types de séquences, par exemple les amplificateurs - plus connus sous leur dénomination anglaise enhancer. Les amplificateurs stimulent l’activité de certains gènes à des moments clé. «La nouveauté, c’est que nous avons découvert que le groupe de gènes impliqués dans la croissance des doigts était modulé par sept amplificateurs, et non un seul, et qu’ils se combinaient en se contactant», explique Thomas Montavon, auteur principal de l’article et collaborateur scientifique à l’EPFL.

Lorsque chez l’embryon les doigts commencent à prendre forme, le fil d’ADN se replie : les amplificateurs, situés à différents endroits du fil, se contactent. Ce faisant, ils rassemblent diverses protéines qui stimulent l’activité des gènes – les doigts se mettent à pousser.

Qu’un de ces sept amplificateurs manque au rendez-vous, et les doigts seront plus courts, ou anormalement conformés. Lorsque deux séquences viennent à manquer, les défauts s’accentuent encore. Sans amplificateur, les gènes tournent au ralenti, et ne génèrent que des amorces de doigts.

Comment le fil d’ADN se replie-t-il exactement de la bonne manière, de sorte que les amplificateurs se contactent et fassent leur office? Récemment découvert, le processus reste largement inexpliqué. «Dans d’autres tissus, comme le cerveau, le fil d’ADN se plie différemment, explique Denis Duboule, directeur de l’étude , chercheur à l’EPFL et à l’Université de Genève. A notre connaissance, ce n’est que dans les doigts qu’il adopte cette conformation.»

Une explication pour la diversité de l’évolution
Statistiquement, les sept amplificateurs impliqués dans la croissance des doigts sont autant d’occasions pour qu’une mutation se manifeste. La souplesse de ce mécanisme, encore sans aucun équivalent connu, n’est pas seulement à l’origine de malformations héréditaires, mais aussi des très nombreuses variations que connaissent mains, pattes et autres appendices chez les êtres vivants. «Il suffit de penser à certains ongulés, qui marchent sur un doigt unique, à l’autruche, qui n’en possède que deux ou, bien sûr, à la main humaine», explique Denis Duboule.

D’autres processus génétiques pourraient également fonctionner sur un principe analogue. Cela pourrait expliquer la diversité des produits de l’évolution, dans des domaines tout autres que les doigts, fait remarquer Denis Duboule. «Quand une mutation concerne un gène, comme par exemple pour la mucoviscidose, c’est souvent binaire. Cela revient à du tout ou rien. Avec le mécanisme que nous avons découvert, on est dans le plus ou moins. Ca se combine, ça se module.»