What future for academic research?

© Alain Herzog

© Alain Herzog

What are the factors explaining the incredible success of the american academic research but what are the problems threatening the system today?

Compte rendu d’un séminaire de politique scientifique avec Paula Stephan et Patrick Aesbicher

Par Prof. Dominique Foray, chaire d’Economie, Management & Innovation

"Présent et Futur du Système Américain de Recherche Académique et Problèmes Potentiels : des Leçons pour la Suisse ?"

Paula Stephan, professeure à Georgia State University, est une économiste bien connue pour ses travaux sur l’économie de la science et ses enquêtes sur l’organisation de la recherche académique aux Etats Unis. Elle vient de publier un ouvrage « How Economics Shapes Science » qui offre une analyse théorique et empirique des facteurs explicatifs de l’incroyable succès de la recherche académique américaine. Mais dans cet ouvrage, elle s’interroge aussi sur un certain nombre de problèmes qui menacent aujourd’hui l’édifice . De passage à l’EPFL, elle a présenté ce travail au cours d’un séminaire où Patrick Aesbicher était invité à réagir et lancer la discussion. Séminaire très intéressant puisque l’EPFL , à l’image de nombreuses autres universités européennes, s’est largement inspirée du modèle américain pour se rénover. Il est donc utile de se demander si les nouveaux problèmes identifiés dans le cas américain peuvent menacer aussi et affecter la croissance, les performances et les structures de nos institutions européennes en général et celles de l’EPFL en particulier.

Paula Stephan identifie quatre problèmes majeurs :

- Le système très compétitif de subventions de recherche organisé par les grandes agences américaines (NSF et NIH notamment) a conduit à des comportements d’aversion au risque, en particulier quand le taux de succès est faible et qu’une importante partie du personnel de recherche est financé sur contrat (la « soft money »). Comme le note le Prix Nobel R.Kronberg : « if the work that you propose to do isn’t virtually certain of success, then it won’t be funded ».
- Les disparités salariales ont considérablement augmenté au sein des universités, entre les disciplines et entre les institutions. Quand ces disparités sont trop grandes, tout en étant essentiellement fondées sur les performances de recherche, elles menacent l’accomplissement des autres missions académiques et perturbent les normes de collégialité et de cohésion entre les membres d’un même département.

- Le système américain produit trop de doctorants par rapport au nombre de places de travail offertes. Il est vrai que doctorants et post docs constituent une ressource bien commode et très utile pour la recherche académique : ils apportent de nouvelles idées, travaillent dur, ne coûtent pas cher et doivent s’en aller après avoir acquis le doctorat. Mais si la demande de docteur tant dans l’industrie que sur le marché académique ne suit pas, il en résulte un nombre considérable d’individus qui ne trouveront pas un emploi adéquat.
- Enfin, le système américain a engendré un incroyable déséquilibre de financement entre les domaines et les disciplines ; les sciences de la vie accaparant environ 2/3 des financements de recherche académique depuis une quinzaine d’années. Quelle qu’en soit les bonnes ou les mauvaises raisons, les conséquences de ce déséquilibre sont très dommageables. On pense par exemple au boom immobilier engendré par les départements biomédicaux qui crée aujourd’hui des problèmes financiers aigus pour ces départements alors que les financements du NIH ne croissent plus. Ce déséquilibre est aussi tout simplement inefficient dans la mesure où de nombreuses découvertes et inventions biomédicales proviennent d’autres disciplines qui n’ont été que faiblement financées depuis les années 90.

Dans sa réponse, P. Aebischer reconnaît que la ré-invention de l’EPFL a été fortement inspirée par le modèle des Université de Recherche américaines ; il admet que les problèmes exposés par Paula Stephan ont une acuité particulière dans le cas Américain tout en soulignant que certains traits européens ou suisses pourraient préserver nos institutions de ces problèmes.

- Ainsi, s’agissant de l’aversion au risque, une part significative des financements de la recherche ne provient pas de fonds de tiers mais constitue de la « hard money » . En outre, un certain nombre d’instruments sont disponibles pour supporter les projets très risqués et cela sur la longue durée
- En ce qui concerne la population croissante des doctorants et des post docs qui peinent à trouver ensuite une occupation professionnelle correspondant à leur qualification, la solution principale passe par le développement toujours plus important de solides relations avec le secteur privé ; de sorte que celui-ci devienne l’option d’emploi principale pour les docteurs et post docs. Cette évolution est évidemment un trait remarquable du campus de l’EPFL.

- Les disparités de salaire et les inégalités sont contrôlées dans le système suisse sans que cela ne pénalise trop l’aptitude à recruter les meilleurs ; cela pour la simple raison que la base de départ est très élevé relativement au standard européen.
- Enfin le déséquilibre de l’allocation de ressource entre le biomédical d’une part et les autres disciplines d’autre part est patent en Europe aussi et risque d’endommager de la même façon la dynamique des sciences. En revanche la bulle immobilière engendrée par la générosité des NIH est un phénomène typiquement américain (à cause d’ overheads extrêmement élevés).

Une conclusion ? Une institution comme l’EPFL s’est efforcée de prendre le meilleur du modèle américain de l’université de recherche et a réussi ainsi à se transformer profondément. Mais dans le même temps, son identité européenne et Suisse semble la préserver des quatre problèmes identifiés par P. Stephan. L’EPFL ainsi, parmi quelques autres, offre un bel exemple d’une institution hybride qui s’efforce de combiner le meilleur des deux modèles ; une expérience institutionnelle passionnante, toujours en cours, sous nos yeux !